De la Richesse des nations d’Adam Smith au Capital de Marx, on peine à trouver une définition claire et concise de ce qu’est le capitalisme. Toutefois, les deux hommes sont parfaitement d’accord quand il s’agit de dire ce qu’est un capitaliste. Ce dernier doit son nom au fait qu’il se sert d’un capital (ressource à disposition, par ex. une somme d’argent) pour en tirer profit, et cela sans dépenser d’effort. Un capitaliste se débrouille pour que son capital “fasse des petits”, comme le disait Aristote.
La vie économique ordinaire se présente généralement sous la forme de cette équation très simple : capital + travail = création de valeur = création de richesse. Le capitaliste, en ce qui le concerne, parvint à simplifier considérablement l’équation : capital = création de richesse.
On nous dira qu’un bénéfice ne peut pas simplement apparaître comme par magie… et c’est tout à fait vrai. Si le capitaliste peut se permettre de faire en sorte que la simple mobilisation de son capital engendre des bénéfices, c’est parce qu’il utilise le travail de quelqu’un d’autre qui, lui, produira la valeur dont sera tirée la richesse du capitaliste. L’équation naturelle du travail reste, dans l’absolu, inchangée ; simplement, l’usurier s’en affranchit par la pratique du capitalisme.
Ce tour de magie s’opère, par exemple, si le capitaliste prête à un artisan une somme d’argent sur laquelle il réclamera des intérêts (c’est-à-dire qu’en plus du remboursement de la somme prêtée, l’artisan devra donner au capitaliste une somme supplémentaire). Le capitaliste a simplement passé son argent d’une main à une autre avant qu’il lui revienne en compagnie d’un supplément. De son côté, par contre, l’artisan a utilisé ce capital pour acheter des matières premières qu’il a transformé en travaillant, réalisant un produit ayant une valeur qui lui permettra d’obtenir une somme d’argent en échange.
Ainsi, sous prétexte d’une aide temporaire à la production, le capitaliste s’est servi du travail de l’artisan pour récupérer une plus-value. Pendant que l’artisan dépense son énergie pour produire, le capitaliste vaque à ses occupations, persuadé que son argent travaille seul par l’enchantement de l’intérêt.
Le capitalisme (ou « usure ») désigne le fait de s’enrichir sans produire grâce au capital que l’on possède, tout en misant sur la productivité des autres. C’est aussi simple que cela.
On nous rétorquera que l’artisan n’avait qu’à se débrouiller pour ne pas avoir besoin que le capitaliste lui prête de l’argent. Le problème, c’est que puisque le capitalisme est aujourd’hui partout, l’artisan est bien obligé d’utiliser les services du capitalistes pour faire décoller son affaire. Sinon, la concurrence dopée (et empoisonnée) par l’endettement l’étranglera nécessairement. D’un point de vue purement direct, il a donc tout intérêt à le solliciter, même si cela implique un vol des fruits de son travail.
Prêter à intérêt aux familles, aux producteurs ou aux gouvernements, prêter un logement contre loyer, acheter des actions à la bourse en spéculant sur les cours, jouer sur le taux de change des monnaies, pratiquer le négoce de marchandises … Le capitalisme s’incarne de bien des manières même si son principe ne change pas.
Aujourd’hui, en France et dans le monde entier, il aspire la plus-value du labeur des populations productives dans quatre domaines principaux : le prêt à intérêt (que l’on nomme aussi l’usure), la rente foncière, la rente laborieuse (finance des entreprises, actionnariat, boursicotage) et la dette publique.
On raconte parfois que les contempteurs du capitalisme détestent les travailleurs, les petits patrons et tous ceux qui triment pour gagner leur vie. C’est peut-être vrai en ce qui concernent la psychose qu’est le gauchisme. Mais si l’usure est un problème, c’est précisément parce que les capitalistes volent aux producteurs une partie importante des richesses qui leur reviennent de droit, que sans les producteurs, les voleurs ne pourraient pas survivre alors que l’inverse n’est pas vrai. C’est par amour pour tous ceux qui travaillent que l’usure révolte l’honnête homme. Comme une sangsue, le capitaliste n’apporte aucune valeur ajoutée au monde et se contente de faire de l’argent avec de l’argent, bâtissant par la rapine ce que Maurice Bardèche nomme une « fortune sans cause ».
Si l’usure pèse déjà de tout son poids sur la vie de certaines personnes, ce vol prend de pharamineuses proportions dès qu’on le rapporte à l’échelle d’une nation. Prenons les domaines d’activité évoqués dans lesquels sévit le capitalisme en France, et regardons combien il coûte aux producteurs.
Sur l’année 2023, si l’on additionne les bénéfices des banques privées (146 milliards d’euros - rapport de la Banque de France sur l’année 2023), les dividendes versés aux actionnaires sous plusieurs formes (67,1 milliards en dividendes, 30,1 en rachats d’actions = 97 milliards d’euros), les loyers payés aux propriétaires (91 milliards d’euros - rapport du compte de logement 2023, Min. du logement) et le paiement des intérêts de la dette publique (39 milliards d’euros), on constate que le capitalisme a arraché 373 milliards d’euros aux Français en un an.
Concrètement, cela représente plus d’un milliard par jour donnés à l’usure, plus de 5 000 euros par Français sur l’année 2023. Surtout, rapportée à la population en âge de travailler, cette somme monte à plus de 10 000 euros par personne et par an.
Les producteurs sont spoliés par le parasitisme des usurocrates.
Aristote réprouvait déjà franchement la pratique capitaliste en expliquant qu’il était parfaitement contre-nature que l’argent « fasse des petits », qu’il engendre par sa seule existence de plus grandes richesses (voir notre texte sur l’usure et les Anciens). Cela rejoint ce que nous écrivions plus haut : celui qui s’affranchit de l’équation naturelle de la production commet quelque chose de mauvais, pas seulement du point de vue moral, mais aussi au regard de l’harmonie du monde.
Certains vous dirons, alors, que le capitalisme est pourtant vieux comme le monde, et ils en voudront justement pour preuve le fait que les antiques en parlaient déjà. Pourtant, en prétendant cela, on n’explique rien. Le métier d’usurier est ,en effet, vieux comme le monde. Mais il l’est au même titre que l’escroquerie ou la prostitution. Là où il y a une misère sexuelle, il y aura toujours des putains ; là où existe la misère, on trouvera toujours des usuriers. Désignant à l’origine ceux qui prêtaient à intérêt, le terme d’usurier peut s’entendre, par extrapolation, comme le sobriquet de toutes les sortes de capitalistes.
L’usure et les usuriers existent donc depuis des temps immémoriaux. Mais si l’on vous assène que le capitalisme tel que décrit plus haut a depuis toujours investi notre vie économique, cela est faux. Depuis une époque oubliée, des marginaux profitant du besoin des nécessiteux pratiquaient auprès d’eux le prêt à intérêt. Ils octroyaient des rallonges à des miséreux qui tombaient alors dans l’esclavage de la dette, se rendant continuellement débiteurs d’un charognard venu dépouiller ceux qui n’ont déjà plus grand chose. Comme il y a mille façon de pratiquer l’usure, il existait même des scélérats qui rognaient discrètement les pièces d’or et d’argent pour en faire tomber quelques morceaux et fabriquer de nouvelles pièces avec le fruit de leur larcin (voir le livre de Jacques Heers sur la naissance du capitalisme au Moyen-âge).